Damart
Le plus dur n’est pas forcément ce que l’on croit. Oserais-je franchir ce magasin ? Y a des jours, comme çà, de sainte béatitude, où faire plaisir à sa belle-mère, dépasse tout seuil d’acceptation. Loin la galaxie music ! Direction Damart, rue de Brest. Le temple de la culotte gaine.
– Bonchour Mesdames, che chui à vous tout de chuite, lance une vendeuse à la dérobée, un bic dans la bouche et la boule en mousse piquée d’épingles accrochée au poignet pour les retouches. A qui le tour ?
Nous sommes au bas (nylon) mot une trentaine.
Sous les multiples néons surchauffant la pièce, les bigoudis s’agitent comme des moutons mauves dans un pré fleuri. C’est dingue comme d’un coup d’un seul les rhumatismes n’ankylosent plus les jambes. Sur les portants, je vois des robes en polyamide chamarrées, des pantalons bariolés, des chemisiers en satin vieux rose, des gilets en poils de bique…Que des horreurs !
La plus jeune cliente semble-t-il s’enhardit :
– Moi, moi, c’est moi la première ! répondant ainsi à la vendeuse-retoucheuse-surjeteuse. Voilà, dit-elle, mon Roger a froid aux pieds mais avec les chaussettes il a trop chaud. Alors que dois-je faire ?
Assise, au fond, dans le petit salon d’attente courtois, j’étais suprêmement curieuse de la réponse commerciale. La force de vente est étonnante ! J’étais paniquée à l’idée que la vendeuse ne trouve en la matière aucune répartie plausible. Je dis çà parce que moi, je commençais à suer…Etait-ce vraiment l’éclairage ? Las ! Elle ne s’est pas démontée et s’est lancée avec force démonstration dans les socquettes intersaisons en thermolactyl, formidables pour les pieds-gelés-qui-ont-chauds. Trop bonnard !
Pendant, ce temps, je contemplais le ballet des acheteuses et des trésors d’inventivité que les unes et les autres avaient déployé pour soit apprêter la mise en plis, soit pour assortir leur jupe, sous le genou, au fard des lèvres, sur les joues, débordant juste un peu dans les commissures et à peine sur les canines.
L’une d’elle, assise derrière moi, essayait des bottes. J’entendais, en étouffant un rire grossier, la profondeur des dialogues, après l’ultime passage relatif à la météo (fais froid aujourd’hui, hein ?).
– Combien chaussez-vous madame ?
– Ah ben, çà dépend. En mocassin, j’ai un petit 36 et demi. En botte, je crois que je fais 37, parfois 38, surtout en hiver.
– Bon…. d’accord…., dit la dubitative vendeuse. Essayez ce modèle. Voilà. Levez-vous, marchez, alors ? Cà serre ?!! Comment çà, cà serre ? Oh,…. mais madame, fallait enlever le papier soie au bout ! Alors ! Et comme çà ? Bon, çà va mieux, hein ? Superbe, non vraiment, elles vous vont comme un gant.
– Dites, c’est quelle pointure au fait ? Ouuuh, j’ai les doigts de pieds qui chauffent…
Vu comme çà, on aurait dit qu’elle avait séché sur un tonneau mais bon…
– Cà m’étonnerait, rajoute la vendeuse, les sourcils épilés froncés. Elles sont faites en Amortyl TM. Ce matériau des « zingénieurs NASA » absorbe les chocs jusqu’à 30% de plus qu’une chaussure classique ! Mettez-vous debout.
– J’y suis déjà…
Toujours assise dans mon fauteuil club, je feuilletais Notre Temps. Ben si. Ce n’était pas les Inrockuptibles sur la tablette ! Une autre charmante dame, semblant danser le Parkinson comme dirait Titeuf, est arrivée avec sur les bras une ….vingtaine de maillots de corps en dentelle, si lourds pour elle que la vendeuse a du saisir in extremis, dans une espèce de plongeon de Wonder Woman, la package de coton extensible à la volée.
– Puis-je vous aider ? lui demande-t-elle dans un souffle égayé d’un sourire de traviole.
– Voui, merci. Je cherche ma taille 42/44 en blanc, mais je ne la trouve pas, dites donc. J’ai trouvé le 46, le 48, le 50, le 52 en ivoire, voyez, ils sont tous là. J’ai aussi le 50 et le 52 en dentelle, j’ai bien aimé le 46 à demi-manche (mais c’est pas ma taille) mais le 42/44 à manches longues blanches, col V et ajouré poitrine, pas vu !
– Pas de problème. Attendez…Donnez-moi tout çà… ‘Vais le ranger. Avec un cri tonitruant de Tarzan à la gouaille parisienne, la voilà qui appelle : « Mooooooonique ! 42/44 référence Himalaya, allez voir en réserve ! »
Je pense que Monique est prête pour le Grand Marathon de New York. Oui, oui. La voilà, buste conquérant, pantalon à pince à carreaux, qui traverse le magasin à la vitesse de l’éclair, les lunettes toujours vissées à cheval sur son nez aquilin et fonce chercher le débardeur qu’elle ramène en disant, la mèche collée au front, en claquant la porte du pied gauche recourbé : col rond cette année, col rond…
– Ah…Dommage…dit la dame. L’année dernière, c’était col V.
– Ah non mais attention, cette année c’est le col rond, avance une Monique assurée, couvrant ainsi la voie chevrotante de l’intéressée qui commence à frémir. C’est beaucoup mieux ! Je vous assure. Regardez ! Je le porte ! en soulevant son pull-over, réunissant ses deux pieds, montrant combien, même à son âge, eh bien la Monique, elle a chaud l’hiver, elle !…
Reality chaud la vendeuse….
A une autre qui hésitait entre bonnet E et bonnet F, elle ira même jusqu’à conseiller « avec armatures » pour cacher les plis et sous-plis des aisselles en particulier pour la collection Biorelle, dotée de microcapsules à l’aloe vera censées hydrater les couches supérieures de l’épiderme. Mon Dieu, mais de quelle parcelle ????…..
Je priais pour ne pas devoir assister au même cérémonial pour les culottes et je croyais avoir tout entendu. Quand une agitée, fébrile des bons d’achat, surgit du présentoir à robes de chambre en Courtelle et court ventre à terre jusque vers la responsable « fidélisation ». Un espace exclusif réservé aux meilleures clientes. The very best of.
– Madame, que puis-je pour vous aider ?
– Alors, voilà. J’ai 30 points de bonus. Et avec, je crois que j’ai gagné la couette patchwork. Comment je fais pour avoir la couette et garder mes points bonus ?
– Eh bien, soit vous gardez vos points bonus, soit vous prenez votre cadeau (aujourd’hui c’est la couette). Si vous prenez la couette, vous n’aurez plus les points bonus.
– Ah bon ? Mais à quoi serviront-ils après les points bonus ?
– Ben à rien puisqu’après, vous n’en aurez plus. Sauf à racheter pour 250 € d’achat d’ici à fin 2007. Et vous n’aurez plus la couette. Mais la station météo.
– Et ma couette ? Je peux vous la laisser alors. Elle ne me plait pas.
– C’est comme vous voulez. Au suivant ! Point bonus, nusse, nusse…
Enfin, je me suis décidée à me lever pour rejoindre ma belle –mère qui avait terminé et se trouvait à la caisse. Au moment où j’allais la rejoindre, un bras puissant me saisit l’épaule et me fait tournoyer comme un portique. Un gaillard de papy, dansant un pied après l’autre, m’apostrophe :
– « Excusez-moi, vous savez où sont les toilettes ? »…
Le plus dur n’était donc pas d’entrer dans la boutique mais d’en sortir…
Cela dit, j’adore les mamies. Soyez-en sûrs. Mes douces et affectueuses pensées vont à la mienne. Je ne l’ai jamais emmenée chez Damart. Et ne languis pas le jour où ma belle-fille sera forcée de m’y traîner…