Il revint à Elvira
Par un après-midi d’orage, près d’une plage pluvieuse
entourée de cabanes terreuses, de paille et de bois
de palmiers étalés, et de mille oiseaux migrateurs
survolant les hamacs de veuves malheureuses,
j’étais dans mes plaines infinies où les tigres galopent
au dessus desquelles le soleil avec son œil orange
remplit le visage du Ciel comme l’orbe d’un cyclope
et semble tellement lourd en tombant à l’horizon
que ses flammes écorchées ont des traits d’oraison.
Alors que des nuages de cendres s’avançaient,
j’ai perçu les fumées noires d’une jeep sur le chemin,
finissant sa course pourchassée par des gamins,
dont je connais la malice et les mains balancées
quémandant un rose bonbon ou de la monnaie.
Aucun désastre maritime de cette ampleur
n’épargne les coquettes aux anglaises frisettes.
Hors d’usage, j’avais préféré assumer mes insomnies
à l’enfer de ce qu’était devenu ma morne vie :
pas de quoi faire la fête mais avec mon amulette
j’ai croisé les doigts et fui à jamais mon pays.
Ce matin là, clair, à peine réveillée de ma nuit,
je t’ai vu t’avancer avec une chemise blanche,
la démarche lente, plus lente encore qu’à l’ordinaire,
un ralenti inquiétant, tu t’avanças vers les planches
qui séparent la rivière de ma masure rudimentaire :
je me suis assise pétrifiée ; Il est venu, me dis-je ;
Il a fini par me trouver : est-ce que j’hallucine ?
Est-ce bien mes jambes tremblantes qui se figent ?
Suis-je certaine que ma tisane était aux plantes ?
Quand l’asiatique a mis du sucre dans ma tasse,
ai-je bien remarqué son regard et ses signes
et le sachet de thé prélevé dans sa nasse ?…
Non, je te discerne : tu me viens en souriant…
Tu sais maintenant que tu ne peux plus reculer.
Tu es venu jusqu’à moi pour enfin te libérer
et donner à mon cœur la moitié qui lui manque.
Est-ce donc le terme de ma torpeur, mon Dieu…
Est-ce toi le sauveur qui me prend dans tes bras ?
Est-ce mon cœur que j’entends précipiter son pas
pour cogner jusqu’à toi, sans entendre des adieux…
Comme je suis bizarre ! Je me retrouve en Asie
Voilà qu’il pleut ! Cela va faire gonfler les ruisseaux ;
toutes les couleurs humides me collent à la peau
la mer démontée surgit et moi je m’extasie…
(Mince ! S’il venait seulement pour son travail
n’a t-il pas pour projet de reconstruire un hôtel
Lui qui rêvait d’agrandir l’espace de ses murailles
Pourvu qu’il ne vienne pas ici avec un tractopelle !)
Ta chemise est trempée : je t’invite dans ma cabane ;
tu acceptes de t’abriter sous mon indigne préau ;
tu regardes mes fauteuils, mes lanternes, mes rabanes
et tu n’oses définir ce refuge bien loin de tes idéaux…
« Où es ton fils ? » ; « Il dort dans la chambre du fond ;
le changement d’air commence à le gagner
ses cauchemars le quittent, ses rêves se refont
j’ai l’impression qu’il va bien : viens t’en assurer… »
Mais tu me réponds : « il serait bête de le réveiller.
Restons encore un moment sur la terrasse
viens près de mon épaule, viens là me consoler
je peine à croire que tu te mures dans l’angoisse… »
Qui dois-je consoler ? A qui dois-je fendre la cuirasse ?
Ne m’avais-tu pas promis d’être mon chevalier servant
autrefois lorsque tu courrais Paris, l’américain,
et que je t’imaginais, exigeant, signer des contrats
à mille lieux, si bien que je n’entendais rien,
si ce n’est le train, qui jamais ne te ramenait à moi…
Pensais-tu qu’un jour d’avril tu viendrais en ce pays
pour faire avec l’impétueuse miss, une ultime battue
pour vérifier avec stupeur combien la belle statue
a changé – Elvira le volcan – en rivière tarie ?
Si tu savais comme je pense à cette histoire
chaque fois que je vais mal et que je veux m’enfuir…
Ivre, je me plonge dans cette aventure illusoire
comme ce film émouvant où rien ne peut me nuire.
Et cela me fait du bien : mes veines palpitent
et mon sang circule à nouveau comme la rivière
qui avait bien failli déborder en ce péril été…
J’aime découvrir ce pays que je n’ai jamais foulé…
Je m’y vois en rêve et j’aime le traverser, parée
de mon peignoir de soie blanche au col châle déroulé.
Je vis seule, abandonnée, dans une réserve réservée
entourée d’animaux sauvages, et de fermiers
des gens à mon service que je paye d’un dîner
à qui j’offre le café, un rire, parfois le déjeuner
et qui dorment à côté, veillant sur mon sommeil
en cueillant des lotus ou des agrumes vermeils.
Ils m’ont accueillie ; pour eux seuls je suis restée.
Je leur ai appris à lire, écrire et compter
et tous les jours, leurs enfants viennent chez moi
chercher un gâteau français avec du chocolat ;
et c’est ainsi que les gens des alentours, rassurés
me les confient, moi qui n’ai pu, deux fois, enfanté…
(oh non ! je n’ai pas envie qu’il me voit pleurer…)
Une fois par semaine, je traverse leur brousse :
un chapeau vissé sur mes cheveux décolorés
des cohortes de rapaces pour m’y accompagner,
je vais au village voisin faire quelques courses
j’aime ce marché bruyant, il me rappelle ma campagne ;
aux bords des rizières, les épices sur les pagnes
me viennent dans le cœur à pas de course.
C’est ma nouvelle compagne et j’y suis chez moi
je respire la myrrhe, l’encens et le benjoin
le bois de cèdre, l’encens et le citron vert.
L’origami est la passion méticuleuse qui m’a rejoint
pour oublier les effluves interdites du vétiver… »
« Que Diable fais-tu de plus ici, me dis-tu, interloqué ?
Je ne peux croire que tu aimes cette vie de potache
toi qui courait les villes, toi qui aimait te farder
cette vie sommaire ne vaut pas celle que tu lâches !
As-tu idée de la tête que tu m’offres aujourd’hui
je suis très inquiet, je t’assure, de ta probable survie.
Je ne veux pas te faire ni de la peine, ni d’offense
mais franchement : quels arguments tu avances ? »
« Prends ma tête comme elle vient ! Il fallait t’annoncer !
Comment dit-on la douleur dans les clubs très fermés,
l’œil goguenard, dignes, roides et les lèvres pincées ?
Comment respirent-ils avec leurs mâchoires coincées ?
Moi, je cherche une raison de ne pas mourir ailleurs…
Ici, l’éternel a un sens : les autres m’ont reconnue
et ma vie ne me pèse plus : elle est bien meilleure
que tous les ignares idiots pour qui je n’existe plus…
Ici, tous se fichent de savoir quelle mine j’affiche
quand je me lève en baillant ou me réveille en friche. »
« Je suis sûr que tu mens, je suis certain que tu t’ennuis.
Ne te caches pas derrière cette fausse insouciance,
ne me fais pas croire à l’Occident que tu as fui :
tu es capable de beaucoup mais pas d’indifférence.
Je t’ai connu plus volontaire, serais-je déçu ?
Qu’importe la tête que tu as le matin au réveil
pourvu que je sache ce que cache ton sommeil !
Allez ! Quelles sont tes explications ? A quoi joues-tu ?
Tu n’as pas la carrure d’une folle aventurière
et je trouve bien misérable que tu ai renoncé
à affronter la vie rêvée de toutes les roturières
qui ont occupé ta place sans s’être défoncées.
Jamais tu n’as rêvé des lianes qui s’enroulent
ni de la savane ! Regardes, tu n’es plus la même :
En te voyant aujourd’hui, je ressens de la peine
tout ce que j’ai voulu et espéré pour toi s’écroule ;
j’ai fais tout ce chemin pour conjurer ton sort
en m’apercevant, déçu, que moi aussi j’ai eu tort :
les dragons ne rendent pas heureuses les reines ! »
« Si c’est pour me sermonner ou me faire de la peine
tu peux tourner les talons et reprendre la mer ;
tu peux retourner d’où tu viens sans ta reine
et ne me fais pas subir tes remarques amères.
Ma souffrance a été si perçante dans mes veines,
il fallait que je m’éloigne avant de dépérir.
Cela fait six mois que tu n’a rien reçu de moi :
Et franchement c’est tout aussi bien comme ça…
Jamais tu n’as fais honneur à mes chers souvenirs
ni chercher à promouvoir les facultés de mon avenir.
Heureuse : voilà bien le mot auquel je me raccroche
puisque aucun autre n’est plus sorti de mes poches. »
« C’est toi qui me parle de souffrance, je cauchemarde !
Alors que depuis des années entières à te convoiter
deux années complètes à vouloir t’effacer pour t’oublier
je finis par te retrouver vivant comme une clocharde !
Sais-tu que j’ai failli devenir fou, puis tout quitté
pour apprendre au hasard d’une fortuite rencontre
que tu as préféré l’Asie à la Provence enchantée ;
est-ce çà le résultat de ma course contre la montre ? »
« La Provence m’était destinée à l’époque antérieure
je voulais tant y habiter, pour être moi pleinement
oublier qu’en mon pays je n’ai rien réussi à faire
sauf espérer mourir de peur de gêner tes affaires !
Je me sentais tellement nulle quand il fallait agir,
alors que mon âme s’étranglait de tout te dire…
Avec tes airs supérieurs m’interdisant la ferveur
j’ai cru que je faisais fausse route dans ton cœur…
Oui, ce pays merveilleux et coloré c’était le mien ;
j’avais d’énormes projets, de la verve, de l’ambition,
mais des vautours malsains m’ont donné la punition
en détruisant une à une mes coupables émotions.
Je n’ai jamais su exploiter l’or de mes mains :
Optimiste, j’ai attendu un miracle mais en vain.
Te faut-il d’autres humiliantes explications
ou te contentes-tu de dépecer mon infortune ?
Cela te fait-il du bien de me réduire à rien ?
Malgré l’abominable moiteur née dans les dunes,
j’ai espéré longtemps les épices de ton pain
j’ai exhalé souvent la fleur blanche des orangers
accoudée au café ombragé, près des oliviers
au bord des amandiers en fleurs, en pleurs
mais personne à mes côtés pour les respirer
personne pour soutenir mes envies démesurées…
Cette terre avait un sens car tu étais en perspective
mais tu n’as jamais voulu vraiment franchir ma rive.
J’ai donc cherché un autre pays plus accueillant
qui veuille bien de moi quel que soit le temps !
Comment aurais-je pu supporter un seul instant
partager ma Provence sans toi dans ma balance ? »
« Parfois, je me questionne sur ta prétendue folie
et je finis par croire que tu ne m’as pas compris !
J’ai tant voulu te préserver pour que tu sois… à moi ;
j’ai préféré me taire plutôt que ruer dans les brancards
j’ai choisi le silence, j’ai préféré te tenir à l’écart.
Impossible de te partager avec un autre, tu entends ?
De tous mes défauts, c’est le seul que je défends.
Oui, je suis égoïste ! Et toi l’assoiffée, toi l’Icare
tu es une gamine, infidèle, une écorchée vive
un feu d’artifice éclatant toujours sur le qui-vive
une poète ratée, une bique plus têtue chaque jour
une séductrice dont je connais le refrain d’amour
incapable de se battre pour défendre sa place
ni de trouver un travail ! Non, madame se prélasse !
Bon sang, comment font ces miséreux pour te suivre ?
L’impatience t’a caché ma vérité et je suis en colère.
Tant de kilomètres ! Tant d’incompréhensibles galères !
Et puis, que regardent-ils donc avec tant d’importance
tous ces indigènes qui n’ont de toi aucune connaissance ? »
« Eh bien disons que je suis l’antisèche à leur monotonie
qu’avec moi les journées ont une heure de plus
et que chaque nuit, je leur apprends, un mot, joli
qu’ils collent dans leur cahier, mille fois, relu ;
et parce qu’eux seuls savent à nouveau m’amuser
en dansant comme des fous le soir à la chandelle
en tapant le sol ridé de leur rythme ensorcelé,
ils me sortent de l’angoisse infernale dans laquelle
tu m’as enfermée un soir, de peur de t’en libérer !
Tu sais ce que je ne comprendrais jamais ?
C’est ton incapacité chronique à vivre dans l’instant
à ne pas être curieux de moi, ni vouloir te dévoiler
et laisser filer le temps que je brode par moment.
Et je ne te dis pas merci de vouloir m’enfoncer :
il y a bien longtemps qu’à mon talent, j’ai renoncé ».
« Et crois-tu que la vie se résume à se contempler
en puisant chez ces pauvres ce qui t’est étranger ;
crois-tu qu’ils t’aiment comme d’autres le pourraient
et à qui te refuses le droit d’un jour t’envisager ?
Crois-tu que j’ai fais tout ce chemin car tu m’indiffères ?
Crois-tu que la bougie s’est éteinte par obligeance ?
Tu te trompes ! Je suis timide mais ne peux rien y faire
je ne sais me découvrir ni me mettre en évidence.
Tu as tort de croire que je suis l’incarnation du mal :
je savais, jusqu’à toi, quelle femme était mon idéal.
Mais au moment de choisir, j’ai choisi de continuer
la vie d’avant que toi seule a réussi à bouleverser.
Je sais ce que tu vaux, je sais combien tu pourrais faire
je crois en la justice : elle seule répare chaque affaire. »
« Ne me fais pas de leçons ! J’ai trop souffert !
Toutes mes nuits ont été remplies de ton enfer !
Je me sens tellement ridicule de t’avoir dis
tous ces mots imbéciles que tu m’interdis !
Je crois être enfin libérée de tous mes complexes
Ici, pas besoin de me torturer, ni de réfléchir
Je me fiche de ton air inquiet et circonflexe.
Je n’ai même pas peur de m’entendre gémir
ni de battre le fer, ni de travailler durement ;
chacun de mes souffles est un émolument.
Plus je te regarde, plus je deviens perplexe
qu’es-tu venu chercher que tu ne puisses trouver ?
Un joyau imaginé, une amoureuse abandonnée
une pauvre secrétaire, une politique désabusée
une nébuleuse qui réapprend le b-a ba de la vie
avec plus de rage sourde que de réelle envie,
une compagne éperdue qui t’avait tout juré
et qui se meurt de n’avoir pu te convaincre
que l’on pouvait aimer malgré les préjugés
et que, même les déluges peuvent se vaincre !
Souviens-toi, lasse des villes, quand je t’appelais
quand tu n’entendais pas les pales phrases
de la poète désespérée, priant pour qu’elle écrase
les cigarettes grises qui lui consument le cervelet…
Tu n’entendais pas la vraie douleur de l’amour !
Alors, tu m’excuses, mais l’Asie vaut bien ce détour ! »
« Tu sais combien cette vérité n’est pas la mienne !
Nous avions toi et moi une famille à construire
Nous étions condamnés à cette amitié malheureuse
à ne plus partager que des mensonges à distance
parce que moi je ne pouvais t’imaginer heureuse
ailleurs qu’avec celui qui partage ton existence.
Bien sûr que c’est cruel, bien sûr que j’ai souffert
mais partir, sans rien dire, n’avait aucun sens !
Il fallait nous contenter de vivre, un peu, à l’envers
à côté, sans se voir, à la limite de la démence.
J’avais vraiment besoin de toi, parce que tu es celle
que, dans mes rêves, je vois encore et encore
pour qui, chaque jour, j’adressais une étincelle
dans les prières que j’envoyais comme un trésor.
Toutes mes intimes pensées, solitaire et cérébral
n’ont cessé de t’accompagner en ce fatal chemin
et quand je n’ai plus eu de tes nouvelles un matin
quand tu as disparue si vite : j’ai trouvé çà anormal.
Et quoique l’idée insensée de ne jamais vivre avec toi
me fusse familière au point d’accepter le vouloir
je n’ai malgré tout pas supporté de te savoir
si loin à l’autre bout de moi. Tu m’as tué l’espoir !
Je voulais me protéger et te garder à distance ;
ma citadelle est mon seul rempart à l’ignorance.
Comprends-tu que je n’ai jamais voulu plaisanter
mais seulement oublier que tu me hantais.
J’ai fais des prières, j’ai allumé des chandelles
en m’abstenant de me joindre à ton archipel. »
« Tu m’agaces avec ton cynisme et ta raison implacable !
Il n’y a pas dans la vie que le noir ou le blanc
tu sais que mes chagrins viennent de ton isolement
et tu ferais bien de constater qu’ils m’accablent !
Combien de mes questions sont restées sans réponse ?
Combien j’ai eu honte d’un peu te quémander
d’espérer un signe et pas un qui ne m’enfonce…
Mais ce silence mortel, subi, lourd, douloureux
que j’ai appris à respecter puisqu’il te ressemble
j’ai fini, désolée, par ne plus y prendre garde
il m’a ensevelie ! Plus d’espoir de vieillir ensemble !
Et quand cette vérité féroce, cogne au cerveau
pas tout à fait ramolli d’une jeune trentenaire,
ce n’est pas lui faire d’admirable cadeau !
C’est pourquoi je suis partie, fuyant mes misères.
Moi j’avais reçu toutes les étincelles, ouverte !
Chacune brille même encore à mes abords ;
ne doutes pas un seul instant que tu me sois mort
car dans mon cœur, tu revis à toutes mes fêtes.
Cependant, il arrive un moment aigu et douloureux
où aimer est tellement insoutenable qu’il faut partir
oublier les regards infidèles remplis de ce désir
et taire l’incendie sauvage qui submerge nos yeux.
On peut s’offrir sans perdre un centième de pudeur
le tout est d’avoir la conscience au bord du cœur. »
« Je trouve inconcevable tes excès d’aujourd’hui.
Je ne crois pas à ton engagement humanitaire
tu n‘es pas faite pour l’abnégation dans cette terre.
En revanche, je me dois de reconnaître ceci :
Tu as cette manie furieuse de tout mélanger
de ne pas savoir hiérarchiser tous tes soucis
et de toujours prêcher le faux pour entendre le vrai. »
« Et alors ! Est-ce mal de puiser dans un regard
la reconnaissance éternelle, l’amour parfait
et d’y voir, subrepticement, un éclat fulgurant
comme la promesse d’un don dont j’attends le départ ?
Est-ce un crime d’espérer être heureuse et utile
au moins une seule fois pour vérifier ce que çà fait
et compter chaque seconde qui passe, futile,
en oubliant celles que tu daignais bien m’envoyer ! »
« Si seulement tu n’étais pas si pressée…
Tu vois la Vie comme elle n’est pas en réalité
Il faut apprendre à l’affronter telle qu’elle vient
et pas seulement aux bon vouloir de tes caprices !
Ne me considère pas comme seul porteur de ton Destin
J’ai d’innombrables défauts mais toi, quelle actrice !
Chaque appel a eu sa réponse, certes décalée
mais ne m’accuse pas d’indifférence ni de silence
il fallait bien que je vive en dehors de ton existence
ce n’est pas très commode de répondre avec avarice
et de livrer un roman à une formidable éditrice.
Tu as tort d’avoir flanché en te laissant attendrir :
le dogme par lequel je m’abreuve ne pourra t’adoucir. »
« Je t’interdis de m’interdire mes candides rêves !
Qui es-tu pour oser m’expliquer ce qui est bien
quand toi même tu as conscience que tu crèves
de n’avoir été aimé que pour ton seul soutien !
Il faut vivre tout de suite et aimer tant qu’il est temps.
Quand la mort te prend, quand la vie s’en va :
qu’y a t-il de formidable à se soumettre à ces aléas ?
Moi je préfère le présent. Il est si réconfortant !
Tu sais très bien quelle valeur le cœur a de plus
rien ne sert de nier l’évidence, parfois il vaut mieux
accepter l’amour véritable une seconde ou deux
plutôt que de feindre l’avoir toujours vécu ! »
« Tu es insupportable, tes colères sont infondées
Je suis venu – seul – pour voir où tu étais logée
et c’est ton impertinence qui m’accueille froidement.
Ai-je mérité moi aussi de subir tes débordements ?
Quand je pense à ce soir d’été où tout a basculé
parfois je regrette de t’avoir touchée, car si j’avais su
qu’une seule fille pouvait tout dévaster à mon insu
qu’un seul de ses regards m’oblige à baisser les yeux
à rougir comme un adolescent, à me priver de la vue
à me croire le roi de la terre et ne rien pouvoir faire…
Je serais mort si tu n’étais pas la source de mes vœux !
Oui, j’ai lutté durement pour rester l’imperturbable ami
mais comment lutter contre les eaux d’un tsunami ? »
« Moi je n’ai pas eu besoin que tu viennes à moi
pour déjà mourir : celle que tu vois n’est pas Elvira
c’est le fantôme de Florine, l’ersatz de l’héroïne
la femme démystifiée qui traîne ses ballerines.
Tu viens contempler le désastre de mon existence
et bien, regardes ! Voilà ce qu’on devient un jour
quand plus personne ne cherche votre présence :
un misérable tableau oublié par un troubadour.
Je suis aussi transparente que les zéphyrs blancs
et le Diable m’a pris le corps depuis trop longtemps.
Faire face avec eux je n’ai pas pu, préférant l’exode
aux doux souvenirs de mon âme noyée qui s’érode.
Tu n’as rien à espérer d’une ombre décharnée
que la mer a vaincu par un effroyable raz-de-marée.
J’avais trop mal, tous m’ont tellement humiliée…
Voilà t’es content : je pleure ! Je suis fatiguée… »
Tu n’osais plus bouger. Ton visage était fixe et froid.
Tes pupilles d’acier auraient pu m’égorger, je crois,
si des larmes s’en étaient extraites à ce moment là.
Je fulminais même de te trouver aussi beau que là-bas…
A deux doigts de me gronder, j’avais peur de ta réaction.
Je me disais : soit il s’en va maintenant sans regret
soit je me lève et monte sur ce fichu escabeau
je grimpe dessus, chancelante, comme une biquette
je m’approche de cet homme, je lui agrippe la tête
et doucement m’avance, comme un fragile flambeau
et je penche mon visage, lentement je m’approche –
je vois bien d’un coup qu’il n’a plus aucun reproche
que cette scène bancale, il croit déjà l’avoir mémorisée…
Mais avant de m’échouer sur ses lèvres abîmées
je le regarde fixement, les sourcils froncés
et lui demande : « si après ce baiser, tu t’en vas,
c’est toute ma vie que tu rayes de ton compas
alors quitte à m’entraîner dans ta vertigineuse spirale,
jures moi que c’est pour la bonne cause Amiral
et que tu as quitté la France pour rejoindre Elvira
dont la bouche n’attend qu’un seul signe de toi. »
« Tu es la plus idiote de toutes les romantiques
et si maintenant tu persistes à me rester statique
je ne réponds pas de ma colère ni de ma voix
je peux rugir plus fort qu’une meute aux abois. »
« Tu n’auras pas le temps de hurler au loup :
trop d’anges veillent sur la sérénité de ma vie
seul Cupidon peut créer des violents remous
mais s’il s’impose à ta volonté, je dis oui, oui, oui. »
« A une seule condition :
respecte mes secrètes émotions
et mon emploi du temps de ministre.
Efface moi ce visage sinistre
Et rentre avec moi en France :
nous allons vivre en Provence ».
« Tu peux répéter ? J’ai du mal entendre… »
« Fais tes valises, fais tes bagages
n’oublies pas tes robes de couleur
viens près de moi : je t’engage ;
ranges ce mouchoir et sèche tes pleurs.
Et puis arrêtes de renifler si bruyamment
tu risquerais de réveiller les alentours…»
« Il n’y a pas d’avion avant une semaine
nous sommes coincés ici. Crétin, non ? »
« Douterais-tu que pour dérober ma reine
je n’ai pas tout prévu ; même un autre avion ? »
« J’oubliais que vous êtes un homme d’exception ;
pourvu que je tienne la vague, sans faillir
sinon, ma fille, attention, gare à la correction…
Rien que d’y songer, cela me fait frémir».
Heureusement que ce soir, avant de m’endormir
je boirai du saké dans l’alcôve du bouddha bar
en repensant à cette rocambolesque histoire
à laquelle j’adhère, sans retenue, avec espoir…