Catégorie : Début de roman

La campagne de Jean

– Love trade center, bonjour ! Cassandra à votre service.
– Bonjour, Jean Duval. J’appelle pour connaître les tarifs de votre agence s’il vous plait
– Pour quelle formule Monsieur ?
– Vous proposez quoi ?
– Annonce simple : monsieur 50 ans cherche femme 40/45 ; annonce moyenne : monsieur 50 ans, divorcé, chef d’entreprise, cherche femme blonde 18/35 ; annonce all inclusive : monsieur 50 ans, blindé aux as, cherche perle rare pour dépenser ses livrets A….
– Ah bon. Les textes sont déjà fournis ?
– Vous reconnaissez que c’est pratique, hein ? Nous avions tellement de personnes hésitantes. L’agence Love trade center a mis les bouchées doubles. Elle pense pour vous, elle vous accompagne et vous propose une formule appétissante. Conquis ?
– Et niveau tarifs ? Comment ça se passe ? C’est au mot ? A la rencontre qui débouche sur autre chose qu’un café à l’angle du carrefour ? Ou à la nuit torride ?
– C’est comme Monsieur décide. Votre argent c’est votre argent. Notre talent c’est notre talent.

Pendant qu’elle débitait son laïus Cassandra mâchouillait son chewing-gum avec la vélocité d’une vache normande bicolore. Presque l’arôme ruminé des pâquerettes arrivait comme un effluve de pacotille jusqu’aux narines de Jean.

Jean.

49 ans d’agriculture dans le Limousin. Pas l’ombre d’une femelle digne d’intégrer sa ferme. Pourtant, toutes les semaines, Jean jouait au PMU, Jean sortait les poubelles, Jean faisait ses courses au Cora sur la RN 25, Jean n’avait rien d’un plouc. Bel homme. Franchement bel homme. Il arrivait même à Jean de partir en voyage. Dernier en date : le Rhin en péniche. Autant dire, une misère…

Seulement Jean rêvait de grand air, de grand dépaysement, de grand amour quoi.

Alors qu’il cherchait à acheter des pièces détachées pour son tracteur, il était tombé sur une annonce en demi-page dans le gratuit du coin.

Love Trade Center : tuez la solitude !

Il s’était dit : why not ?

Il est temps de trouver le bonheur. A force de le chercher, sans jamais le rencontrer, il faut provoquer mon destin. Voilà ce que se disait Jean. C’était pour ainsi dire, l’agriculteur ordinaire que l’extraordinaire dédaignait. Inclus dans son village comme la croix au détour du chemin qui mène à son champ, il rêvait de beaucoup plus qu’un quelconque routinier. De l’extérieur, un sauvage. Mais Jean, l’encroûté, le besogneux, le laborieux à l’école, se jouant des remarques de la fille du notaire et de la fille du pharmacien, n’avait pas l’intention d’abrutir son image déjà bien écornée par son métier. Il passait tous ses samedis matin à la médiathèque de Limoges, furetant comme il avait toujours adoré, les livres de peinture et d’histoire. Il sa gavait la tête de Rubens, il s’imprégnait de la gamme colorimétrique de Picasso, il s’épuisait à comprendre la guerre de Trente Ans. Il finissait par rentrer, ivre de fatigue intellectuelle, épuisé de n’avoir rien partagé, autre que la lecture d’un écrit déjà mort.

– Alors, quel est votre choix Jean?
– Ecoutez, je crois que je vais réfléchir. Donnez-moi l’adresse de votre site Internet.
– Trois double vé, point, love trade center, tout attaché, point, F, R.
– Bien. Je vous remercie.
– Excellente journée. Et au plaisir de vous revoir chez Love Trade center

En reposant le combiné, Jean recula son dos dans le canapé, joignant ses deux mains derrière sa tête en soupirant, le regard perdu, brusquement lucide quant à la difficulté de considérer les aléas de sa vie sentimentale, aussi dépouillé qu’un talent d’esquisseur.

Tout attaché, avait dit Cassandra. Dingue. Lui n’était pas attaché. A personne. Combien de fois s’était –il résigné lorsque, sur les conseils de ses amis, il s’était endimanché pour aller danser au bal des boudins de Brive ou au comice de St Pardoux, revenant presque toujours soul mais seul. Combien de fois s’était-il senti le cœur en jachère ? Il n’allait pas s’engourdir à flirter avec le virtuel de petites annonces…

Fleurette, son braque d’Auvergne femelle, se mit à japper. Dans le chemin qui mène à sa ferme, Jean reconnu la camionnette de Rodolphe, l’épicier ambulant. L’accueillant sur le pas de la porte, la main en visière, il s’avança dans un nuage de fumée pendant que la camionnette terminait sa course en crissant dans la cour, jonchée ça et là de géraniums lierre et de pourpiers.

– Et salut Jean, comment va ce matin ? Salut ma belle, rajoutât-il en caressant le flan de Fleurette, tout agitée de cette nouvelle compagnie.
– Bonjour Rodolphe. Tu m’amènes le soleil j’espère…
– Tu vas voir…J’te dis pas. J’ai des bottes d’asperges violettes extra, des carottes fanes et des radis roses, de la même couleur que tes fesses quand t’étais assis sur les bancs de la classe de Mme Rivegrand.
– J’te parie dix sacs que les tiennes virent au jaunasse de tes courges
– Ah Ah Ah. Jamais la blague dans ta poche, Jojo…Bon alors, toujours pas de compagne ? Faudrait peut’ète voir de passer la seconde, hein vieux ! Les mouflets ne naissent pas dans les granges taries…
– Tu connais le secret, toi ? Tu vois, plus je me questionne, plus je me dis que l’amour n’est pas fait pour moi
– Dis plutôt que c’est toi qui n’est pas doué pour les choses de l’amour…A force de roucouler tous les samedis dans des bouquins poussiéreux, tu ne sais même pas que les nanas d’aujourd’hui attendent autre chose que des culs terreux qui leur débitent la bio de Corneille.
– C’est clair que par ici, la plupart des filles pensent que Corneille est un chanteur…
– Faut sortir gars. Te laisse pas pousser l’araignée dans la cervelle
– Dis tout de suite que la sénescence me guète…
– Moi ce que j’en dis, c’est que tu es un séducteur qui s’ignore. Avant de croupir dans l’oubli de tes champs, de mettre ton cœur en jachère sous prétexte qu’aucune petite du coin n’a assez d’éducation pour passer tes soirées, ta libido va finir comme les roues de ton Niva : grasse. Et quand je dis grasse, j’ai envie de dire, épaisse, déjantée, encrassée…
– Dis donc t’es épicier ou mécano ? Figures-toi que j’ai appelé Love trade center
– Love quoi ?
– Love trade center.
– T’as appelé les ricains pour rencontrer une nana ?
– Mais non. Love trade center. L’agence matrimoniale de Limoges.
– Non ! Sérieux ! Et alors ?
– Dramatique. Moins t’a de cervelle, plus t’a de blé, t’a le sentiment d’être le roi du pétrole.
– Ben alors ?
– Alors rien. Je pensais qu’on…Enfin, je ne pensais rien en réalité…Je me suis trouvé comme un con…Un pauvre con qui ne sait même pas comment aborder une femme…Un mec prêt à s’inventer une histoire, à passer une annonce. Je me suis fais peur.
– Allez. Tu traverses une mauvaise passe…Dis donc, j’organise une petite fête samedi soir ? Ca te dit de venir ?
– C’est un coup monté ?
– Ben oui, qu’est-ce que tu crois ! Mais non, c’est juste un dîner avec quelques amis. Ca te changera les idées. C’est d’accord ?
– Allez va pour l’invitation.

A 20 heures pile, le samedi suivant. Jean arborait un look convenable. Sa carrure de camionneur, remarquablement moulée dans une chemise blanche à manches longues, n’avait pas eu besoin de trente six apparats pour mettre en relief sa peau basanée et les ridules qui barraient son front. Sa tignasse blond foncée de laquelle quelques boucles rebelles s’échappaient, jouait avec la lumière pleine de la lune claire.

C’est Juliette qui vint ouvrir. Juliette l’épouse de Rodolphe. Elle le fit entrer dans le grand salon. Les autres invités étaient semble t-il tous arrivés. Au milieu, se dressant à côté d’une console en chêne, une femme. Un seul regard en sa direction et il comprit. Il sut. Il sentit cette espèce de tiraillement entre le sternum et la glotte. Il reçut en pleine figure l’ombre ourlée de ses lèvres qu’il voyait se mouvoir comme des cerises de luxe. Il jaugea de sa taille comme d’une altitude à conquérir.

Le guidant jusqu’à elle, Juliette fit les présentations :

– Jean, je te présente Alexia. Alexia voici Jean, notre ami du chemin des Violettes.

A la main tendue, franche, fraîche, qui vient serrer les cinq doigts de sa main droite, Jean s’entendit déclamer en sourdine « Enchanté » en trouvant ridicule le son inapproprié de sa voix qui, sous le coup de l’émotion, lui faisait prendre un ton de snobinard de province. Il lui semblait devoir faire un effort supplémentaire pour atteindre cette femme à la prestance incroyable. Au ton cristallin qu’elle employa elle, il se détendit un peu :

– Ravie de vous rencontrer. Rodolphe m’a beaucoup parlé de vous
– Pas en mal j’espère ? Il est incorrigible
– Non. Il parait que vous allez vendre des terres au Sud de St Padoux. Je suis intéressée…

Jean ravala sa salive. Jean fit taire immédiatement sa courtoise œillade. Jean proposa un visage à peine aimable. Tout retourné que la situation ne tourne pas à son avantage.

– Rodolphe s’est trompé. Je n’ai rien à vendre.

Sur ce, il tourna les talons en s’excusant, prétextant le reste des invités à saluer. Un moment seul dans la cuisine, il prit Rodolphe à part. Rodolphe, les joues déjà bien rougies par le Bordeaux, rigolait à gorge déployée. Au regard que Jean lui décocha, il se tut, instantanément.

– T’en as d’autres des plans foireux comme ça ?
– Mais de quoi tu parles ?
– Ta nana, là ! Elle veut quoi en fait ?
– Elle est bien roulée, hein ? T’as vu le châssis ?
– Arrête avec tes conneries. Qu’est-ce qu’elle vient faire ici ?
– T’arrêtes de faire ton difficile ? Elle est passée à la banque y a quelques jours et c’est Juliette qui l’a reçue. Elle est parisienne et a un projet immobilier de chambre d’hôtes.
– C’est ça… Elle en a soupé des pots d’échappement. Elle nous fait le syndrome gîtes
– Tant que ce n’est pas le syndrome de la b***
– T’es rond ou quoi ?
– Mais non. Elle est canon, c’te nana. Elle t’arrive comme un cadeau du ciel.
– Les cadeaux du ciel comme elle, je m’en protège comme de la foudre. C’est pas ses bagouzes qui vont me faire chavirer et encore moins son argent. Qu’est-ce que t’es allé lui raconter ?
– Que tu avais des terres à vendre et éventuellement une grange à rénover. C’est pile ce qu’elle cherche
– Mais tu me fais chier ! J’ai rien à vendre moi ! Tu sais bien que chez moi c’est sacré. On touche pas à ce que mon grand-père a bâti de ses mains. Putain !
– Jojo, tu vires mal. Tu vois pas les étoiles. T’as la tête dans le seau. Tu vas finir puceau…
– Ta gueule. C’est pas le propos.
– Bon allez sois gentil. Je lui ai promis que tu lui ferais visiter ta propriété. Tu vas voir. Ca va coller !
– Ca va…coller ? Mais tu veux que je te dise ? C’est ma main qui va se coller et le temps que tu devines où, tu seras déjà dans le coma
– Ah Ah Ah. Rodolphe avait repris son rire franc et jovial de plus belle. Si bien que Juliette fit son entrée dans la cuisine en invitant les deux comparses à rejoindre les autres.
– Ben alors ? Qu’est-ce que vous faites ? A table ! lança t-elle en riant.

Chacun pris place et les verres de vins n’en finissaient pas de se vider et se remplir. La hausse du gasoil, l’ascension de Obama, les attentats en Algérie, les problèmes de sècheresse en été, les évictions de journalistes, les cours du blé et du pétrole. Tous les sujets se passaient de bouche en bouche. Le dernier film qui avait cartonné. Puis vient, entre le cantal et le gâteau roulé de Juliette, Paris et la province. Alexia de sa voix fluttée expliqua aux convives son envie de grand air, de nouveaux paysages. Sa vie parisienne de tarée où seules finissent par compter les quelques secondes hors des transports en communs. Jean l’écoutait sans effort. Il dévorait sa bouche, sans même s’apercevoir que la sienne, légèrement entrouverte, lui donnait cette espèce d’air niais que l’attirance ne peut cacher. Alexia beaucoup plus fine, faisait semblant de ne rien voir. Répondait poliment aux questions de ses voisins. N’était jamais à court de belles phrases. Ses bras, en volutes aériennes, venaient appuyer ses explications. Sans ambages. Sans fierté déplacée. Elle parlait. Légère et enjouée. De temps à autre, son regard croisait celui de Jean. Puis elle continuait d’énumérer sa vie dans la capitale. Ses ventes fabuleuses réussies malgré la morosité du marché. Ses rencontres avec des familles étrangères désireuses de s’offrir un pied à terre Avenue Montaigne. Quand le café et les tisanes furent servis, tous les couples s’éclipsèrent. Jean se retrouva le dernier. Avec Alexia. Un tremblement merdique. Une peur toute scolaire. Un regret de ne pas avoir pu dire qu’il était pressé. Une légère envie d’apparaître autrement. Une volonté, presque cachée, inavouable, de rester encore un peu. La parisienne n’avait pas la vanité de son origine. Il en convenait. Il était ébloui. Juste ébloui. A perdre le sens commun. Il se disait « Rodolphe a raison. Cette fille est extraordinaire ». Il revoyait sa bouche, gourmande, sourire au mari de Sonia. Il sentait la jalousie lui pincer la poitrine. Il était seul. Il lui semblait que cette solitude s’affichait comme un quatre par trois sur son nez. Paradoxalement, il imaginait tous les hommes qui avaient partagé la vie de cette femme. Il voyait leur visage, devinait leur parfum, saisissait leur qualité, notait mentalement tous les plus que lui-même n’avaient pas. Il se faisait un mal du diable à sous considérer sa propre séduction qu’Alexia, elle, avait remarquée sans concentration. Tel un automate, il s’entendit lui proposer :

– Je vous raccompagne ?
– Volontiers.

Rodolphe et Juliette les saluèrent de la main, enroulés sur le perron de leur villa. La nuit profonde, les cris des grenouilles, les champs de blés verdoyants comme une mer d’émeraude, offraient un spectacle à multiples facettes. Alexia grimpa avec agilité dans la Lada Niva. Jean pris place au volant et sans un regard, prit la route nationale, direction le centre ville. Un silence de mort s’installa dans le véhicule. Jean gardait volontairement les yeux droit devant. Se laissant doucement et seulement perturber par le parfum de sa passagère. Il sentait son regard, de temps à autre, se poser sur son profil. La peur paralysait ses gestes. La pudeur saisissait son savoir-vivre. Le désir de lui parler fondait comme neige au soleil.

– Jean? D’où vous vient cette capacité à me faire croire que je suis la dernière des imbéciles ?

Interloqué, Jean réussit à tourner la tête. A planter son regard dans les yeux verts d’Alexia.

– Je ne pense pas que vous êtes imbécile.
– Menteur. Toute la soirée, vous m’avez regardée comme si je débitais des âneries. Vous me forciez à faire de mon discours autre chose qu’un recueil de ma vie. Je me sentais comme à l’école…
– Navré que vous ayez eu cette impression…Vous vous trompez…
– C’est quoi votre problème ?
– Mais je n’ai pas de problème. Je vous ai écoutée. C’est tout…
– Différemment des autres. Vous m’avez mise mal à l’aise.
– Ecoutez Alexia. Je vais être direct. Direct comme jamais je ne l’ai été. Quitte à passer pour le dernier des salauds. Je…vous êtes…Nous sommes…
– Oui, ça je connais. Le verbe être au présent
– Attendez. Ne vous moquez pas. Ne le prenez pas mal…Ecoutez. Je n’ai rien à vendre. Je suis chez moi. J’y vis depuis toujours. Je n’ai pas l’intention de transformer ma ferme en repère pour touristes fortunés. Si Rodolphe vous a laissé croire que je serai intéressé par votre offre, il s’est trompé. Je ne suis pas vendeur.
– Rodolphe en effet m’a parlé de vos terrains. Il ne m’a pas tout dit…
– C’est dommage. Maintenant, vous avez la vérité. Je suis désolé.
– Quand je disais qu’il ne m’a pas tout dit, je ne parlais pas de vos terres ni de votre ferme…
– Vous n’avez pas l’intention d’ouvrir un centre équestre en plus ?
– Ce que vous êtes rébarbatif ! Mais non…Il s’agit de…vous
– De moi ? Moi, quoi ?
– Vous n’êtes pas assorti au décor
– Quoi ? Vous êtes dingue ? Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Une lueur bien moins naïve flotte dans vos prunelles
– Alexia. Les pégusses peuvent se tenir…
– Vos manières…Votre regard introverti…Votre sourire effacé…c’est étrange…Ca ne colle pas avec le personnage…
– Et qu’est-ce qui aurait du coller avec le personnage ? Vous êtes bien tous les mêmes les parigos ! Toujours l’image, l’image…Vous croyez que je me chauffe à la bougie ?
– Jean …ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…Au contraire. Je vous trouve une instruction délicieuse, une finesse presque précieuse. Charmantes…
– Vous me draguez ou je rêve ? Je n’ai rien à vendre.
– Soit. Moi je n’ai rien à perdre. Laissez moi là, c’est parfait. Merci pour le trajet.
– Bonne fin de nuit.

Ce matin là, quand Rodolphe vint rendre visite à Jean, celui-ci tranchait des bûches dans sa cour. Fleurette à ses côtés. Jean s’essuya le front.

– Salut Rodolphe
– Salut !
– Comment va ?
– Tu sais que question connerie, t’es champion ? T’es bon pour les J.O de la loose…
– Non mais qu’est-ce qui te prend ?
– Elle est repartie.
– Qui elle ?
– Oh arrêtes, fais pas semblant de ne pas comprendre. Alexia. Elle est repartie à Paris
– Bon débarras. J’aurais pas de médaille…
– Je le crois pas, là,… je le crois pas…
– Une nana qui use de ses charmes pour venir me dépouiller, t’appelles ça comment toi ?
– Une amoureuse
– Pfff
– Tu l’as déglinguée j’te dis. T’es vraiment trop nul. T’as de la peau de sausse devant les mirettes…
– J’ai la peau de rien du tout. Je ne te dis pas le contraire. Elle est super belle. Elle est même trop belle pour mon paysage. Mais hors de question qu’elle m’achète. C’est hors de question
– Qui te fait croire à ces sornettes ?
– Ecoutes je n’ai pas envie d’en parler, d’accord. Alors, montre ta marchandise de la semaine et laisse moi tranquille, ok ? Les femmes, c’est trop douloureux.
– Ca va mal finir Jean, ça va mal finir…
– Mais tais-toi…J’ai bientôt cinquante piges. Je sors quand je veux, je danse et je baise avec qui je veux…Voila. C’est tout. Faut pas non plus se fracasser le cœur pour une fille…
– T’es amoureux ? C’est ça t’es amoureux ?
– Non. J’ai mal au cœur. C’et différent
– C’est ce que je dis. T’es amoureux. Et en plus le dernier des cons. Parce que je ne sais pas ce qui s’est passé l’autre soir dans ta bagnole…Je ne sais pas quel poème tu lui as déclamé. Total, la Alexia, elle était toute chavirée…
– Comment tu sais ça toi, t’étais dans la boite à gant ?
– Non. Mais elle a vu Juliette le lendemain. Et elle portait la tête d’une fille qui a payé pour rien à Love Trade Center, tu vois…
– Et alors ?
– Alors ?? Mais tu vas bouger ton gros cul, tu vas prendre les pages jaunes, tu vas l’appeler et lui demander qu’elle t’invite à Paris. Histoire de.
– Histoire de…Mais n’importe quoi…
– Allez dépêches. Plus t’attend, plus elle souffre, plus tu seras mal. Appelles je te dis…
– Je crois que tu devrais arrêter de regarder les films à deux balles de ta femme, ça te monte dangereusement au cerveau.
– Allez. Prouves-toi que t’es un mec.
– Mais je n’ai rien à prouver. Elle m’a appelée elle ?
– Pfff. Ce n’est pas à elle de le faire.
– Tu fais chier. Laisse moi. J’ai pas envie.
– T’as la trouille
– Laisse moi, j’te dis.
– Comme tu voudras. Réfléchis Jojo. Cette nana, c’est pas ce que tu crois.
– Casse toi.

Jean regarda la camionnette de Rodolphe disparaître au bout du chemin des Violettes. Quinze jours pile où en effet, Alexia était partie. Il le savait par le facteur. Et la boulangère. Et la préposée de la Poste. En fait, tous les gens qui avaient assisté au dîner.

Il rentra dans sa cuisine. Pris une bière dans le réfrigérateur, pour la reposer aussitôt. Il revoyait la bouche d’Alexia, il entendait son rire, il ne pouvait effacer son sourire. Il se mordait la lèvre. Il se tordait les mains. Il se tuait à la tâche. Il voulait oublier. Pas de problème. Pas de poèmes. Pas de femmes à histoire. Pas d’histoire. Conclusion, il souffrait, il se sentait aussi seul que le château d’if au large de Marseille. Entouré d’eau, sur une île. Solitaire. Il pensait à elle. Tout le temps. Tout en se morfondant. Qu’ai-je à lui dire de plus ? Qu’ai-je à entendre de moins ? Sommes-nous certains de nous faire du bien ? Qui est-elle ?
Me manque t-elle ?

A cette dernière question, il pris son téléphone. Il composa dix fois son numéro avant de systématiquement raccrocher. Il regardait sa chienne en murmurant « je suis le roi des cons ». Fleurette semblait aboyer l’inverse. Il appela. Une sonnerie, deux, puis trois, quand :

– Oui, allo
– Bonjour c’est Jean
– Qui ?
– Jean, de St Padoux
– Qui êtes-vous ?
– Je ne suis pas chez Alexia Lemarchand ?
– Si. Mais elle est absente. Puis-je lui laisser un message ?
– Non. Non…Merci au revoir…

Jean recula son dos dans le canapé en croisant ses mains derrière sa tête. Soupirant. Fleurette jappa. Des pneus crissèrent dans le chemin. Cette fois, ce n’était pas Rodolphe.

Jean sortit.

Alexia se tenait là, devant sa porte.

– Oh…je vous appelais….c’est incroyable….
– Bonjour
– Entrez…je ….entrez, installez vous…je…
– Jean, je….
– Asseyez-vous…
– Jean
– Alexia
– Je suis désolée…
– Non c’est moi…
– Je ne suis pas venue pour acheter quoique se soit
– Je le sais
– Ah…
– Je le sais et ça me fait plaisir de vous voir. Vraiment
– Jean. Je ne suis pas…Tenez c’est pour vous. Elle tendit un paquet.

Jean prit le paquet, sans l’ouvrir, le déposa sur la table de la cuisine. S’approcha d’Alexia. Doucement. Sans bouger, il plongea son regard dans le sien. Il eut ce mouvement, identique à ce dîner, où sa bouche s’entrouvrit. Alexia ne bougeait pas, ne bougeait plus. Vaincue.

Fleurette déchiquetait le papier cadeau.

– Que se passe t-il en principe à la fin ? chuchota Jean
– C’est terrible. Je n’envisage pas la fin avec vous
– Par où commencer alors ?…

Alexia lui glissa à l’oreille : par ce qu’il vous plaira…J’ai tout à gagner.